Les mulots morts


Une grosse grenouille verte vivait dans une piscine laissée à l’abandon, au fond de laquelle flottaient 2 mulots morts.

Lorsqu'elle chassait, la grenouille se tenait près du mulot, sur lequel les mouches venaient se poser. De bonnes grosses mouches grasses et poilues.

Dans la piscine, il y avait aussi une plus petite grenouille, le rejeton de la grosse verte.

Seuls depuis le début de l’été dans cet étang-piscine creusé, ils dévoraient chaque rare visiteur des yeux, figés dans un calme percutant.

La grosse grenouille verte – d’un vert éclatant rappelant la chlorophylle – fixait sans broncher. Son volume équivalait à celui d’un poing. Ses pattes écartées tenaient sa tête hors de l’eau vaseuse. Elle défendait du regard quiconque de toucher à ses mulots.

Parmi les algues au fond de la piscine grandissaient les têtards de la reine grenouille. À côté d’elle son petit était le seul qu’elle n’avait pas encore mangé. Il était devenu trop gros… ça la dégoûtait. 

photo Yannick Alarie


Les voisins parfaits


J’ai habité quelques années dans le quartier Limoilou, à Québec. J’y observais beaucoup les oiseaux.

Nous avions 2 couples de voisins moineaux : sur la galerie d’en avant, comme sous la fenêtre de la salle de bains, vers la ruelle en arrière.

C’était un petit appartement sur le long, avec un plancher si pentu qu’on pouvait y faire rouler une bille d’un bout à l’autre sans y toucher. Le printemps venu, les 2 couples de moineaux, amoureux, vinrent chez nous pour y construire leur nid.

Le nid d’en avant était situé sous le petit toit de la galerie, tout décrépit, dans lequel il y avait un trou.

Le mâle était souvent au nid et la femelle piaillait dans l’arbre et rapportait des insectes. Lorsque le mâle sortait, c’était pour ramasser des brindilles pour réparer le nid. Plus l’été avançait, plus le nid devait se faire colmater souvent.

On voyait de la paille bâiller du trou entre deux planches pourries, qui pendait lâchement de la toiture de la galerie et se balançait au vent. Il y a eu beaucoup d’orages violents cet été là et leur abri était une vraie passoire.

Je voyais lui, pousser deux coups de bec sur cette motte de paille et retourner se coucher avec les petits. Et elle, criant sans cesse en virevoltant d’une branche à l’autre dans l’arbre juste en face pour lui reprocher sa fainéantise. On s’étourdissait à la tolérer.

À l’intérieur, leurs oisillons s’impatientaient.

Quand le calme se faisait chez ce couple de moineaux, ce sont les autres oiseaux qui venaient les déranger.
Un étourneau ou une corneille ne manquait pas de fouiner, ou de les menacer sauvagement.
Les gangs de pigeons se tenant au coin du toit de l’hôpital, tous les jours à 17 heures trente, les haranguaient du haut de leur corniche à 1000$.

La rue, passante et polluée, et principalement ses quelques bosquets, était le seul territoire où les moineaux avaient le droit de chasser, et ils l’occupaient en surnombre. Ils étaient surtout eux-mêmes la proie des chats, qui les tuaient impunément.

Quelques jardins étaient accessibles dans les parages, mais ces moineaux ne les fréquentaient pas. Ils étaient trop occupés à s’engueuler tout le temps. J’en venais à croire qu’ils n’avaient pas choisi le bon endroit pour faire leur nid.

Le 2e couple de moineaux, celui vivant derrière la fenêtre de la salle de bain, semblait avoir quant à lui choisi un environnement plus sain pour bâtir son nid. L’endroit donnant sur la ruelle était plus calme, mieux éclairé. Leur nid, fait dans le trou de la sécheuse, était propre, bien isolé ; un lieu tout indiqué car l’été, nous nous servions d’une corde à linge pour suspendre nos vêtements au dessus de la ruelle, alors rien de venait déranger la quiétude du nid.

Les oiseaux de la ruelle appliquaient entre les races la règle du plus gros : les plus gros oiseau présent a priorité sur les aires publiques, comme les trous d’eau. Mais ils usaient d’une certaine courtoisie dans ces politesses.

Les deux oiseaux de ce couple de moineaux vivaient une jeune idylle. Ils chahutaient dans leur arbre, chantaient souvent, perchés, sur une branche ou sur le bord de la fenêtre blanche, étroite. Qui était située dans un creux de l’édifice, pour plus de sûreté et d’intimité. Ce nid semblait parfait.

Jusqu’au jour où on partit la sécheuse.

Il y avait une petite bruine suivant une averse. Les deux parents étaient partis chercher ensemble de la nourriture pour leurs petits. J’entrai dans la salle de bain et j’enlevai mes pantalons, dont le bas avait été trempé par la pluie. J’ouvris la sécheuse, les lançai dedans et refermai la porte avec fracas.

Bam !

Les oisillons perdirent tout à coup leur sang froid et mirent à piailler tout doucement. Mais pas assez fort, car ils n’avaient jamais eu à se plaindre.

Je regardai par la fenêtre comme intuitivement, pour voir si les voisins oiseaux étaient là. Mais je ne m’attardai pas, je ne jetai qu’un rapide coup d’œil en me demandant comment leur nid était accroché, car je le pensais attaché au rebord de la fenêtre. Puis d’un mouvement avant de sortir je démarrai la sécheuse.

Dans un vacarme de clés oubliées dans les poches du vêtement, de sous lâchés lousse dans cette cuve métallique, de moteur sourd aux accents d’apocalypse ; un vent pernicieux s’engouffra dans leur refuge par le fond. Tout fut soulevé et enlevé. Les plumes des jeunes oiseaux dansaient au souffle froid, qui petit à petit se réchauffait. Bien vite, le vent fut si chaud qu’il brûlait leur peau roussie et chauffait leurs yeux rougis.
Recroquevillés les uns sur les autres, criant et gémissant dans le duvet de leurs frères, ils pleuraient cette épreuve atroce qui s’abattait sur eux.

Pendant ce temps, les parents moineaux crapahutaient joyeusement chez des voisins, décidant de prolonger leur visite en raison du temps humide et agréable.

Lorsqu’ils sont revenus, ils ont trouvé leurs oisillons morts en bas du trou, 3 étages plus bas, gisant sans explication à côté du nid en bataille. Ils n’eurent pas le courage de reconstruire là où ce drame avait eu lieu, se séparèrent et partirent, endeuillés pour toujours. On ne revit plus ce couple de voisins moineaux.

C’est plus tard que j’ai compris que leur nid était dans le trou de la sécheuse.





L'agonie de Brimolo



Brimolo était un suisse que la famille avait adopté. Fils de Sweeny, qui lui, a été le tout premier tamia rayé que la famille avait nourri avec des cacahuètes.

Le petit tamia habitait dans un terrier que son père avait creusé sous le garage, près de la grande table de bois dans la cour.

Un jour, Brimolo sortit du trou vers l’heure du souper avec un deuxième tamia minuscule : son bébé, Pipo.

C’est la mère, dans la famille, qui donnait tous les noms et les petits surnoms aux animaux. Elle leur chantait même des chansons quand personne ne regardait. Elle avait dit, la première fois en le voyant : 
« Oh regardez, c’est le beau Pipo ! », s’écriant son nom comme si elle avait toujours attendu ce petit. Il en était d’ailleurs ainsi pour tous les bébés arrivés dans la famille.

Pipo, les yeux proéminents, tentant de cacher son frémissement, s’efforçait d’avoir l’air le plus aimable possible.

Le matin-même, peu avant l’aube, il était sorti de son terrier avec son père pour la première fois, avant le lever du jour. Ainsi il n’a pas été aveuglé par le soleil, mais a pu regarder la beauté du monde graduellement. Le découvrir d’abord par l’odorat et les sensations.

Pipo était heureux et excité de rencontrer la famille, mais sans trop savoir pourquoi. Certes, Brimolo revenait chaque jour au terrier avec les joues pleines de cacahuètes. Mais Pipo ne s’était jamais demandé d’où venait cette nourriture. En plus, il n’était pas évident pour lui de faire le lien avec ces gens souriants, assis autour de la table, qui se trémoussaient, lui semblait-il, pour mieux le voir. Sur le coup il déduit que leur attention était plutôt portée vers son père, mais soudain une noix tomba devant lui.

Poc !
Il entendit la mère qui répéta son nom : Pipo.

Il redressa la tête et les pattes, fit quelques bonds en avant. Puis il regarda son père, Brimolo, qui avait reçu plusieurs cacahuètes et s’affairait à les rentrer dans ses bajoues. Pipo continua et piqua sa dent sur la noix, puis l’engouffra dans sa petite bouche.

Tous les jours suivants ils venaient au devant de la famille recueillir les délicieuses peanuts.

Ainsi, jusqu’à ce qu’au jour où Brimolo se sentit mourir.

Il y avait deux saisons de passées ; deux saisons de vie active hors du terrier, à courir sur l’herbe, entre les papillons, les mouches et les obstacles - toutes choses aux mille saveurs -; des journées ponctuées de ces promenades, puis du retour douillet au terrier, hors d’haleine ou tout simplement ivre de plein-air, pour retrouver devant l’entrée, toujours à la même place, une cacahuète pour son père et une pour lui ; deux étés. Lorsque le dernier jour du deuxième été de Pipo se coucha,

Une lueur orangée, rose et mauve cuisait dans le ciel. La famille venait de finir de manger dehors. Les suisses étaient venus et ils avaient eu double ration de cacahuètes, et peut-être même un morceau de fromage (ou était-ce du porc ?), qui était tombé entre les pattes.

À la fin du repas, comme la famille rangeait la vaisselle, la mère entendit un cri dans la cour.

-       Écoutez ! », dit-elle à ses fils et à son mari, devinant que c’était Brimolo, et accourut à la fenêtre.

Le tamia rayé adulte adopté par la famille depuis son plus jeune âge, de par son père Sweeny, était juché sur la table à pic-nic, debout, et il faisait face à la grande fenêtre de la maison derrière laquelle il savait que la famille vivait. Et il se lamentait. Fort !

Périodiquement, la mère vaquant à son ménage revenait veiller à la fenêtre. Brimolo continuait ses lamentations.

Du coucher de soleil jusqu’aux derniers reflets rosés de lumière dans le coin du ciel, Brimolo a chanté.

Il a crié sa rage de partir, sa tristesse de voir sa vie de tamia s’évanouir devant lui. Il a déployé son bel accent pour déclamer les vers les plus sages sur l’importance du moment présent. Tous improvisés.

Debout sur la table Brimolo mourait, et le faisait avec clameur, mais surtout, il dictait aux humains ses recommandations pour prendre soin de son petit (devenu grand).

Pipo, dans l’ombre de la planche, près de l’entrée de son terrier, regardait la scène avec frayeur et comprenait malgré lui que son père allait le quitter.

La famille, le visage fermé et la mine basse, regardait la scène par la fenêtre tel un tableau vivant, lorsqu’enfin il se tut, et tira sa révérence.

Le lendemain, Pipo vînt les voir seul pour une cacahuète. Il y a deux ans de cela. Arrivera-t-il avec un petit l’an prochain ?