Brimolo était un suisse que la famille avait
adopté. Fils de Sweeny, qui lui, a été le tout premier tamia rayé que la famille
avait nourri avec des cacahuètes.
Le petit tamia habitait dans un terrier que son père avait creusé sous le garage, près
de la grande table de bois dans la cour.
Un jour, Brimolo sortit du trou vers l’heure du souper avec
un deuxième tamia minuscule : son bébé, Pipo.
C’est la mère, dans la famille, qui donnait tous les noms et les
petits surnoms aux animaux. Elle leur chantait même des chansons quand personne
ne regardait. Elle avait dit, la première fois en le voyant :
« Oh
regardez, c’est le beau Pipo ! », s’écriant son nom comme si elle
avait toujours attendu ce petit. Il en était d’ailleurs ainsi pour tous les bébés
arrivés dans la famille.
Pipo, les yeux proéminents, tentant de cacher son
frémissement, s’efforçait d’avoir l’air le plus aimable possible.
Le matin-même, peu avant l’aube, il était sorti de son
terrier avec son père pour la première fois, avant le lever du jour. Ainsi il
n’a pas été aveuglé par le soleil, mais a pu regarder la beauté du monde
graduellement. Le découvrir d’abord par l’odorat et les sensations.
Pipo était heureux et excité de rencontrer la famille, mais
sans trop savoir pourquoi. Certes, Brimolo revenait chaque jour au terrier avec
les joues pleines de cacahuètes. Mais Pipo ne s’était jamais demandé d’où
venait cette nourriture. En plus, il n’était pas évident pour lui de faire le
lien avec ces gens souriants, assis autour de la table, qui se trémoussaient,
lui semblait-il, pour mieux le voir. Sur le coup il déduit que leur attention
était plutôt portée vers son père, mais soudain une noix tomba devant lui.
Poc !
Il entendit la mère qui répéta son nom : Pipo.
Il redressa la tête et les pattes, fit quelques bonds en
avant. Puis il regarda son père, Brimolo, qui avait reçu plusieurs cacahuètes
et s’affairait à les rentrer dans ses bajoues. Pipo continua et piqua sa dent sur
la noix, puis l’engouffra dans sa petite bouche.
Tous les jours suivants ils venaient au devant de la famille
recueillir les délicieuses peanuts.
Ainsi, jusqu’à ce qu’au jour où Brimolo se sentit mourir.
Il y avait deux saisons de passées ; deux saisons de
vie active hors du terrier, à courir sur l’herbe, entre les papillons, les
mouches et les obstacles - toutes choses aux mille saveurs -; des journées
ponctuées de ces promenades, puis du retour douillet au terrier, hors d’haleine
ou tout simplement ivre de plein-air, pour retrouver devant l’entrée, toujours
à la même place, une cacahuète pour son père et une pour lui ; deux étés.
Lorsque le dernier jour du deuxième été de Pipo se coucha,
Une lueur orangée, rose et mauve cuisait dans le ciel. La
famille venait de finir de manger dehors. Les suisses étaient venus et ils
avaient eu double ration de cacahuètes, et peut-être même un morceau de fromage
(ou était-ce du porc ?), qui était tombé entre les pattes.
À la fin du repas, comme la famille rangeait la vaisselle,
la mère entendit un cri dans la cour.
-
Écoutez ! », dit-elle à ses fils et à
son mari, devinant que c’était Brimolo, et accourut à la fenêtre.
Le tamia rayé adulte adopté par la famille depuis son plus
jeune âge, de par son père Sweeny, était juché sur la table à pic-nic, debout,
et il faisait face à la grande fenêtre de la maison derrière laquelle il savait
que la famille vivait. Et il se lamentait. Fort !
Périodiquement, la mère vaquant à son ménage revenait
veiller à la fenêtre. Brimolo continuait ses lamentations.
Du coucher de soleil jusqu’aux derniers reflets rosés de
lumière dans le coin du ciel, Brimolo a chanté.
Il a crié sa rage de partir, sa tristesse de voir sa vie de
tamia s’évanouir devant lui. Il a déployé son bel accent pour déclamer les vers
les plus sages sur l’importance du moment présent. Tous improvisés.
Debout sur la table Brimolo mourait, et le faisait avec
clameur, mais surtout, il dictait aux humains ses recommandations pour prendre
soin de son petit (devenu grand).
Pipo, dans l’ombre de la planche, près de l’entrée de son
terrier, regardait la scène avec frayeur et comprenait malgré lui que son père
allait le quitter.
La famille, le visage fermé et la mine basse, regardait la
scène par la fenêtre tel un tableau vivant, lorsqu’enfin il se tut, et tira sa
révérence.
Le lendemain, Pipo vînt les voir seul pour une cacahuète. Il
y a deux ans de cela. Arrivera-t-il avec un petit l’an prochain ?
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