J’ai habité quelques années dans le quartier Limoilou, à
Québec. J’y observais beaucoup les oiseaux.
Nous avions 2 couples de voisins moineaux : sur la
galerie d’en avant, comme sous la fenêtre de la salle de bains, vers la ruelle
en arrière.
C’était un petit appartement sur le long, avec un plancher
si pentu qu’on pouvait y faire rouler une bille d’un bout à l’autre sans y
toucher. Le printemps venu, les 2 couples de moineaux, amoureux,
vinrent chez nous pour y construire leur nid.
Le nid d’en avant était situé sous le petit toit de la
galerie, tout décrépit, dans lequel il y avait un trou.
Le mâle était souvent au nid et la femelle piaillait dans
l’arbre et rapportait des insectes. Lorsque le mâle sortait, c’était pour
ramasser des brindilles pour réparer le nid. Plus l’été avançait, plus le nid
devait se faire colmater souvent.
On voyait de la paille bâiller du trou entre deux planches
pourries, qui pendait lâchement de la toiture de la galerie et se balançait au
vent. Il y a eu beaucoup d’orages violents cet été là et leur abri était une
vraie passoire.
Je voyais lui, pousser deux coups de bec sur cette motte de
paille et retourner se coucher avec les petits. Et elle, criant sans cesse en
virevoltant d’une branche à l’autre dans l’arbre juste en face pour lui
reprocher sa fainéantise. On s’étourdissait à la tolérer.
À l’intérieur, leurs oisillons s’impatientaient.
Quand le calme se faisait chez ce couple de moineaux, ce
sont les autres oiseaux qui venaient les déranger.
Un étourneau ou une corneille ne manquait pas de fouiner, ou
de les menacer sauvagement.
Les gangs de pigeons se tenant au coin du toit de l’hôpital,
tous les jours à 17 heures trente, les haranguaient du haut de leur corniche à 1000$.
La rue, passante et polluée, et principalement ses quelques
bosquets, était le seul territoire où les moineaux avaient le droit de chasser,
et ils l’occupaient en surnombre. Ils étaient surtout eux-mêmes la proie
des chats, qui les tuaient impunément.
Quelques jardins étaient accessibles dans les parages, mais
ces moineaux ne les fréquentaient pas. Ils étaient trop occupés à s’engueuler
tout le temps. J’en venais à croire qu’ils n’avaient pas choisi le bon endroit
pour faire leur nid.
Le 2e couple de moineaux, celui vivant derrière
la fenêtre de la salle de bain, semblait avoir quant à lui choisi un
environnement plus sain pour bâtir son nid. L’endroit donnant sur la ruelle
était plus calme, mieux éclairé. Leur nid, fait dans le trou de la sécheuse,
était propre, bien isolé ; un lieu tout indiqué car l’été, nous nous
servions d’une corde à linge pour suspendre nos vêtements au dessus de la
ruelle, alors rien de venait déranger la quiétude du nid.
Les oiseaux de la ruelle appliquaient entre les races la
règle du plus gros : les plus gros oiseau présent a priorité sur les aires
publiques, comme les trous d’eau. Mais ils usaient d’une certaine courtoisie
dans ces politesses.
Les deux oiseaux de ce couple de moineaux vivaient une jeune
idylle. Ils chahutaient dans leur arbre, chantaient souvent, perchés, sur une
branche ou sur le bord de la fenêtre blanche, étroite. Qui était située dans un
creux de l’édifice, pour plus de sûreté et d’intimité. Ce nid semblait parfait.
Jusqu’au jour où on partit la sécheuse.
Il y avait une petite bruine suivant une averse. Les deux
parents étaient partis chercher ensemble de la nourriture pour leurs petits.
J’entrai dans la salle de bain et j’enlevai mes pantalons, dont le bas avait
été trempé par la pluie. J’ouvris la sécheuse, les lançai dedans et refermai la
porte avec fracas.
Bam !
Les oisillons perdirent tout à coup leur sang froid et
mirent à piailler tout doucement. Mais pas assez fort, car ils n’avaient jamais
eu à se plaindre.
Je regardai par la fenêtre comme intuitivement, pour voir si
les voisins oiseaux étaient là. Mais je ne m’attardai pas, je ne jetai qu’un
rapide coup d’œil en me demandant comment leur nid était accroché, car je le
pensais attaché au rebord de la fenêtre. Puis d’un mouvement avant de sortir je
démarrai la sécheuse.
Dans un vacarme de clés oubliées dans les poches du
vêtement, de sous lâchés lousse dans cette cuve métallique, de moteur sourd aux
accents d’apocalypse ; un vent pernicieux s’engouffra dans leur refuge par
le fond. Tout fut soulevé et enlevé. Les plumes des jeunes oiseaux dansaient au
souffle froid, qui petit à petit se réchauffait. Bien vite, le vent fut si
chaud qu’il brûlait leur peau roussie et chauffait leurs yeux rougis.
Recroquevillés les uns sur les autres, criant et gémissant
dans le duvet de leurs frères, ils pleuraient cette épreuve atroce qui
s’abattait sur eux.
Pendant ce temps, les parents moineaux crapahutaient joyeusement
chez des voisins, décidant de prolonger leur visite en raison du temps humide
et agréable.
Lorsqu’ils sont revenus, ils ont trouvé leurs oisillons
morts en bas du trou, 3 étages plus bas, gisant sans explication à côté du nid
en bataille. Ils n’eurent pas le courage de reconstruire là où ce drame avait
eu lieu, se séparèrent et partirent, endeuillés pour toujours. On ne revit plus
ce couple de voisins moineaux.
C’est plus tard que j’ai compris que leur nid était dans le
trou de la sécheuse.